Conte

De tradition orale à la genèse inconnue, la comptine, toujours rythmée, est parlée ou chantée. Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante : « chanson enfantine, récitée pour déterminer, par le compte des syllabes, celui à qui un rôle spécial sera dévolu dans un jeu ». Elle sert donc à désigner, partager, énumérer et éliminer. Pour certains jeux, ce recours à la comptine constitue un prélude ritualisé.

La plupart des comptines sont très anciennes (certaines dateraient de l’an 182) ; elles ont des auteurs anonymes et présentent des variations selon les pays ou les régions. Elles sont transmises par tradition orale, comme se sont légués les dictons, les proverbes, les vieilles chansons de nos provinces, les contes ou les légendes.

Actuellement, le terme de comptine est utilisé par extension pour désigner des chansonnettes, des jeux dansés, des brefs poèmes, des formulettes aux sonorités étranges ou comportant un suspense, accompagnant l’enfant entre 2 et 6 ans, tout au long de son développement.

Le texte

Les comptines n’ont pas de signification rationnelle, mais sont une jonglerie avec :

  • Des mots choisis pour leur sonorité « Clarinette, clarinette Mes souliers font des lunettes »
  • Des mots inventés « Am, stram, gram Pique et pique et colégram »
  • Des onomatopées « Ri, ri, ri ma petite souris Ro, ro, ro mon petit crapaud ».

Il s’agit d’un texte court, vite retenu, dont les rimes, mais surtout les assonances, c’est-à-dire les rimes imparfaites, s’appuient sur la syllabe accentuée :

  • « L’était une poule blanche qu’allait pondre dans la grange. »
  • « Quatre, c’est pour toi la claque. »

Le rythme et la mélodie

Les comptines sont faites pour être dites en accentuant chaque syllabe. Elles parlent et chantent à la fois :

  • Sur une musique élémentaire (une, deux, trois notes),
  • Selon des cellules rythmiques simples, très souvent communes à plusieurs comptines.

Le rythme est souvent proche de celui, naturel, des enfants : tempo lent pour les balancements, modéré pour les marches, rapide pour les sauts ou les courses. La pulsation est toujours suivie spontanément lorsque les enfants se déplacent sur une comptine. Enfin, le rythme et la mélodie aident à la mémorisation.

Rôle affectif & sécurisant

Les comptines calment, bercent, amusent et rassurent. En effet, par le chant et le mouvement associés, elles procurent du plaisir et permettent aux enfants d’exprimer des émotions, des sensations ainsi que des sentiments. Après une séance de motricité ou un moment d’activités en groupes, un retour au calme s’impose : enseignant et enfants récitent alors ensemble pour apaiser la classe.

Il faut également souligner que ces comptines font appel à une culture traditionnelle et donnent ainsi une base commune à tous, ce qui procure un sentiment d’existence et réduit les inégalités sociales ainsi que les barrières culturelles. Grâce aux comptines en langue française, les enfants non-francophones ou d’origine étrangère peuvent en effet s’imprégner de la culture française et avoir une culture commune, différente de la leur.

Rôle socialisant

Les comptines facilitent l’intégration au groupe : plaisir de dire ensemble, avec l’adulte, apprentissage de règles de vie communes, identité de groupe, etc. Elles créent des moments de don et de partage entre l’adulte et les enfants qui traduisent intensément le plaisir d’être et d’être ensemble. Le contact est immédiat et le plaisir à un effet de contagion, car il fait appel à la gestualité et au jeu. Les enfants disent et/ou chantent ensemble. Ainsi, les comptines favorisent l’ancrage au monde ainsi que l’acculturation. Elles viennent prendre leur place dans les apprentissages essentiels du « fond culturel » collectif de l’enfant : il peut jouer avec les mots qui lui viennent de l’autre, il peut inventer des musiques qui vont vers l’autre, il peut inventer et communiquer.

De plus, elles attirent l’attention et favorisent l’écoute de celui qui récite (respect de l’autre). Elles permettent également à l’enfant de prendre de l’assurance lorsqu’il récite seul devant les autres.

Enfin, transmises à la maison, les comptines apprises à l’école favorisent la liaison avec la famille.

Rôle pédagogique

Les orientations pour l’Ecole Maternelle définissent des compétences transversales et disciplinaires à développer chez l’enfant : l’utilisation de comptines semble contribuer largement à cet apprentissage.

Compétences transversales :

  • Attitude : nous l’avons vu, la récitation de comptines en groupe contribue à la construction de la personnalité et à l’apprentissage de la vie sociale : l’enfant prend de l’aisance, il reconnaît l’autre, l’écoute et le respecte. Les comptines mimées contribuent à l’acquisition d’aisance corporelle, celles qui évoquent le corps aident à la construction du schéma corporel.

Exemple :

Beau front,

Beaux yeux,

Nez cancan,

Bouche d’argent,

Menton fleuri,

Guiliguili.

  • Construction des concepts fondamentaux d’espace et de temps : de nombreuses comptines parlées ou chantées permettent aux enfants de prendre des repères dans la journée scolaire ; d’autres abordent les jours de la semaine ou encore le concept d’hier/aujourd’hui/demain. De la même façon, certaines comptines permettent de s’approprier grâce au mime, les notions dessous/dessus/côté.

Exemple :

Bonjour Madame Lundi !

Comment va Madame Mardi ?

Très bien, Madame Mercredi.

Dites à Madame Jeudi

De venir vendredi

Danser samedi

Dans la salle de dimanche.

  • Mémoire : comme nous l’avons vu précédemment, le rythme et la mélodie de la comptine aident à la mémorisation. En effet, cette dernière se fait, ici, par imprégnation, par l’écoute globale et renouvelée, avec accompagnements gestuels simultanés. Il n’est pas demandé aux enfants d’apprendre les comptines par cœur à la première écoute, la mémorisation se faisant grâce à l’intérêt que ressentent les enfants pour cet apprentissage. Les comptines permettent alors de préserver des acquisitions inconscientes telles que l’enrichissement lexical et syntaxique, l’évocation de temps, d’espaces et de couleurs, la familiarisation avec les nombres, etc. Grâce aux comptines, les enfants peuvent ainsi travailler leur mémoire auditive, visuelle et sensorielle.
  • Méthodes de travail : à l’aide de la comptine, les enfants apprennent à fixer leur attention, à observer et à se concentrer sur une tâche.

Compétences disciplinaires

Compétences dans le domaine de la langue :

  • Langue orale : un des objectifs principaux de l’Ecole Maternelle est d’apprendre à parler, à communiquer et à échanger avec son entourage, ainsi que de développer les différentes fonctions du langage. Cet enrichissement de la langue orale des enfants peut se faire par l’audition et la répétition de comptines, grâce à l’apport d’éléments linguistiques variés : vocabulaire, expression et structure.

Notons que de nombreuses comptines présentent un intérêt particulier : prenons par exemple l’opposition entre phonèmes proches, type v/f ou ch/z, qui posent souvent problème aux élèves, aussi bien pour la prononciation que pour la distinction auditive, ce qui peut entraîner des difficultés, plus tard, lors de la transcription de ces phonèmes. Ainsi, en petits groupes, l’enseignant peut questionner les élèves pour favoriser une prise de conscience des sons particulièrement mis en relief dans une comptine.

Exemple :

Vive, vive,

vive les flots !

Vogue, vogue

Mon grand bateau.

File, file,

File sur l’eau.

Flotte, flotte

Mon beau drapeau.

Ce type d’activité ne prétend pas traiter, mais plutôt assouplir, discipliner lucidement l’émetteur et le récepteur en jouant, détecter des problèmes éventuels, faire repérer des phonèmes d’opposition pertinente, ce qui est une composante essentielle de la connaissance de l’oral.

Les compétences relatives au langage sont nombreuses et les comptines semblent plus particulièrement appropriées pour atteindre les suivantes :

  • Prendre la parole et s’exprimer de manière compréhensible quant à la prononciation et à l’articulation
  • Identifier des éléments de la langue parlée, les isoler, les reproduire, les associer, les agencer,
  • Dire et mémoriser des textes courts.
  • Langue écrite : certes, la comptine est avant tout orale, mais montrer une transcription écrite d’une comptine apprise en classe permet de sensibiliser les enfants à l’écrit et ainsi travailler les compétences suivantes :
  • Identifier des mots familiers,
  • Prendre conscience de la correspondance entre l’oral et l’écrit. Les activités décrites précédemment visant à mettre en évidence à l’oral la différence entre des phonèmes d’opposition pertinente pourront être soutenues par des activités visant cette fois à montrer que cette différence existe également à l’écrit, par un travail sur les graphèmes correspondants.

Enfin, nous pouvons noter que les comptines de type abécédaire peuvent familiariser les élèves avec les lettres de l’alphabet.

  • Initiation à la production de textes : lorsque les élèves connaissent bien une comptine, il est intéressant de les amener à créer une comptine similaire. Ainsi, les créations verbales sont favorisées et l’imaginaire des enfants est enrichi. De plus, la compétence suivante est
  • également visée : dicter à l’adulte des poèmes ou des comptines.

Compétences dans le domaine des mathématiques (approche du nombre)

Parmi les nombreuses facettes que recouvre le terme général de « comptine », intéressons-nous plus particulièrement ici aux comptines numériques et aux jeux de distribution. L’étymologie nous rappelle que le mot « comptine » vient du latin « computare », qui signifie compter. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans notre patrimoine une foison de comptines numériques, largement exploitée à l’Ecole Maternelle.

Très jeune, avant même d’entrer à l’école, l’enfant aime « compter ». Souvent fortement encouragé par ses parents, il manifeste ainsi qu’il « sait », qu’il est grand, phénomène valorisant et motivant, ce qui est à la base de tout apprentissage des jeunes enfants.

Les doigts des mains constituent en cela un support privilégié : compter « sur » les doigts, c’est d’abord compter les doigts. Par cette activité sécurisante et gratifiante, l’enfant a le sentiment de maîtriser quelque chose et il passe du jeu-plaisir à des situations élémentaires de comptage et de dénombrement.

Les comptines numériques et les jeux de distribution permettent donc à l’enfant de découvrir et de construire progressivement le nombre, ce qui correspond aux compétences suivantes :

  • Mettre en œuvre une procédure numérique (dénombrement, reconnaissance globale de certaines quantités) ou non numérique (correspondance terme à terme) pour :
  • réaliser une collection ayant le même nombre d’objets qu’une autre collection,
  • Comparer des collections,
  • Partager des collections,
  • Réaliser une distribution,
  • Résoudre des problèmes liés à l’augmentation et à la diminution de quantités.
  • étendre la suite des nombres connus et savoir l’utiliser pour dénombrer.

Exemples de comptines numériques :

Pour compter dans l’ordre croissant :

1, 2, 3, 4,

Ma petite vache

A mal aux pattes.

5, 6, 7, 8, 9,

Tire-lui la queue

Elle ira mieux.

Pour compter de deux en deux :

1, 2, des œufs,

3, 4, du plâtre,

5, 6, du buis,

7, 8, des huîtres,

9, 10, du cassis.

Pour introduire le nombre ordinal :

L’alouette a fait son nid.

Elle est passée par ici.

Le premier l’a attrapée,

Le second l’a plumée,

Le troisième l’a rôtie,

Le quatrième l’a mangée,

Et le petit Riquiqui

N’avait plus que les os à sucer !

Compétences dans le domaine de l’éducation artistique

Il s’agit ici d’aider l’enfant à développer sa sensibilité, son imagination et sa capacité à créer, ses facultés d’attention et de concentration, son esprit critique et son aptitude à exprimer des goûts et des choix prioritairement dans deux disciplines :

  • Education musicale : les comptines peuvent être parlées ou chantées. Elles offrent alors des mélodies bien rythmées et chanter ces comptines développent des possibilités auditives par la répétition des sons, des rimes ou assonances qui stimulent l’oreille des enfants. Cela permet également de développer des possibilités vocales par la modulation de la voix et les jeux d’articulation. De plus, la majorité des comptines se prête à un accompagnement instrumental (percussions) qui permet à l’enfant d’explorer ses aptitudes motrices dans des premières activités instrumentales. Tout ceci correspond donc parfaitement aux compétences attendues dans le domaine de l’éducation musicale.
  • Arts plastiques : les comptines servent souvent de point de départ à des activités plastiques, qui doivent se fonder sur le désir qu’a l’enfant de regarder et de toucher, de faire et de réaliser. Ainsi, il prend plaisir à construire, à inventer et à laisser libre cours à son imagination. Il développe alors les compétences suivantes :
  • Etablir des relations sensorielles et affectives avec les matières – réaliser une production en fonction d’un désir – constater les effets produits

Compétences dans le domaine des activités physiques

Avec les comptines, nous pouvons les concevoir à deux niveaux :

  • Motricité globale : ce sont les jeux dansés et les rondes,
  • Motricité fine : ce sont les jeux de doigts et de mains.

Ainsi, les comptines favorisent la coordination gestuelle et permettent d’affiner les possibilités motrices des enfants. Le travail de motricité fine des doigts amène au geste graphique en assouplissant les articulations et peut préparer ainsi à l’apprentissage de l’écrit.

 Compétences dans le domaine des langues vivantes

L’apprentissage d’une comptine étrangère simple ou dans une langue régionale permet aux enfants de découvrir une langue étrangère, un rythme de phrase différent, d’autres phonies… Cela peut également être le point de départ d’une ouverture sur une autre culture.

Prenons l’exemple de comptines tirées de la tradition anglaise, les thèmes abordés dans celles-ci peuvent se référer au mode de vie en Grande-Bretagne (« have tea », « tarts and pies », …) et ainsi enrichir les connaissances culturelles des élèves à propos de ce pays. De même, aux Antilles, le créole est très souvent présent dans les comptines ; bien que le français soit aussi employé, en alternance parfois avec le créole. Les comptines étrangères sont donc aussi culturellement intéressantes.

Grâce à la comptine, de nombreuses compétences, inscrites dans les orientations pour l’Ecole Maternelle, tant sur le plan disciplinaire que transversal, peuvent ainsi être visées, tout ceci étant guidé – et facilité – par l’objectif essentiel de plaisir et d’imaginaire.